Le 29 mai marque l’anniversaire du naufrage de l’Empress of Ireland. Cela a eu lieu en 1914 et est encore aujourd’hui considéré comme la plus grande tragédie maritime canadienne. Ce joyau du Canadien Pacifique emporta sous les flots du Saint-Laurent plus d’un millier de vies humaines. L’épave de l’Empress of Ireland repose au large de Sainte-Luce-sur-Mer dans l’Estuaire maritime du Saint-Laurent.
La tragédie
À la veille de l’accident, l’Empress of Ireland ressemblait à un village flottant avec ses quatre ponts illuminés, alors qu’il voguait le long du Saint-Laurent. Il était considéré comme l’un des plus rapides et des plus sécuritaires bateaux canadiens. Lorsqu’il quitta Québec, vers 16 h 30 le 28 mai 1914, il avait à son bord 1057 passagers et 420 membres d’équipage. La brume s’étendait sur l’estuaire, mais le capitaine Georges Kendall n’avait aucune raison de croire qu’il menait l’Empress vers sa dernière et fatale croisière. Dîner et musique durèrent jusque tard ce soir-là.
Guidé par le pilote Adélard Bernier, l’Empress mit environ sept heures pour atteindre Pointe-au-Père. Le fleuve Saint-Laurent étant capricieux, des pilotes spécialisés accompagnent les capitaines de bateaux sur le fleuve. À leur arrivée, la navette l’Eureka prit à son bord le Capitaine Bernier et laissa à l’Empress la poste destinée à l’Europe. Le Capitaine kendall reprit ensuite les commandes du navire et mit le cap vers le large en direction de l’atlantique.
L’air était humide et froid sur le pont. Il était près de deux heures du matin. La vigie informa le capitaine Kendall de la présence d’un bateau remontant à contre-courant. Ensuite, un épais brouillard réduisit la visibilité à moins de 30 mètres. Des coups de sirènes furent échangés, quand soudainement, surgissant de nulle part, le bateau non identifié frappa l’Empress à presque 90 degrés. Le Storstad, un lourd charbonnier de 138 mètres, percuta la partie vitale du navire, la chambre des machines.
Pendant que les deux bateaux se séparaient, plus d’un million de litres d’eau par seconde se précipitaient à l’assaut de l’Empress. Celui-ci, se trouvant privé de moteur et d’électricité, ne répondait plus aux commandes, alors que le capitaine Kendall tentait de rejoindre la côte. Quatorze minutes plus tard, l’Empress sombra.
Seulement 465 passagers et membres d’équipage parvinrent à se réfugier à bord des bateaux de sauvetage, pendant que 1012 autres trouvèrent la mort, coincés à l’intérieur du navire ou gelés dans les eaux glacées de l’estuaire. En termes de passagers ayant perdu la vie, l’Empress dépassa le Titanic, avec 840 morts contre 832.
Les plongeurs de l’Empress of Ireland
Quelques semaines plus tard, des scaphandriers à la solde du Canadien Pacifique, visitèrent l’Empress afin de récupérer le courrier de première classe ainsi que des lingots d’argent. Cette opération permit de récupérer 318 sacs de postes ainsi que 212 lingots d’argent évalué au moment du naufrage à 150 000 $. Malheureusement, l’Empress fit une nouvelle victime. Le scaphandrier Edouard Cossboom glissa sur la coque et fit une chute qui coupa son approvisionnement en air.
Puis, peu de temps après, la Première Guerre mondiale fut déclarée et l’Empress tomba dans l’oubli. Ce n’est qu’en 1964, qu’un groupe de plongeurs aidé de M. Donald Tremblay, professeur de l’institut Maritime de Rimouski, entreprirent de localiser l’épave. Elle fut retrouvée rapidement, reposant sur son côté tribord, à 7 km au large de Sainte-Luce-sur-Mer, près de Rimouski.
Durant les années qui ont suivi, des plongeurs de partout visitèrent l’Empress, le plus souvent avec l’objectif d’en rapporter un souvenir. La plupart ayant peu de moyens revenaient souvent bredouilles. D’autres, mieux équipés et expérimentés, ont remonté à la surface la majorité des hublots accessibles, instruments de navigation, bouteilles et vaisselles. Toutefois, quelques plongeurs y déployèrent des moyens extraordinaires. L’un d’entre eux avait même entrepris d’extirper de l’épave tout le bois de teck constituant les ponts du navire.
L’Empress of Ireland – bien historique et archéologique
Heureusement, le 15 avril 1999, le gouvernement du Québec y mit fin en classant l’Empress of Ireland, bien historique et archéologique. Il va sans dire que l’Empress perdit beaucoup de son intérêt aux yeux des chasseurs de trésors. Cela a eu évidemment un impact direct sur la fréquentation de l’épave par les plongeurs. Il était courant, lors des longs congés de la saison estivale, de voir plus d’une vingtaine de plongeurs quitter le quai de Sainte-Luce-sur-Mer en direction de l’Empress. Ce temps est bien révolu.
Les défis de plonger l’Empress of Ireland
Plonger sur l’Empress of Ireland comporte plusieurs défis, dont certains ont contribué au décès d’une demi-douzaine de plongeurs, sans compter ceux qui ont du se rendre en chambre hyperbare. Le premier défi est certainement la profondeur. L’épave git à 7 km du rivage à une profondeur de 45 mètres. Il s’agit donc d’une plongée profonde par bateau, réservée uniquement aux plongeurs ayant reçu une formation adéquate. Il va sans dire que plonger l’Empress sans envisager de temps de décompression est un peu illusoire. Bien sûr, il est possible de toucher la coque à 26 mètres à marée basse, mais il est plus que probable que votre exploration vous amène à aller plus profond. Une plongée entre 30 et 40 mètres est beaucoup plus réaliste. Le temps de plongée à 30 mètres sans décompression, incluant la descente et la remontée, est de 20 minutes. À 40 mètres, le temps de plongée sans décompression n’est que de 10 minutes. Cela laisse peu de temps sur l’épave. Il est donc raisonnable de prévoir un temps de décompression ainsi qu’une réserve d’air suffisante.
À la profondeur, s’ajoute la faible lumière ainsi qu’une visibilité moyenne tout au plus. Apporter une bonne lampe est donc essentiel. Pour ma part, j’ai déjà réalisé que j’étais arrivé à l’épave, lorsque mes genoux ont frappé la coque. Des millions de particules au mètre carré coupaient la presque totalité de la lumière du jour, réduisant la visibilité à un peu plus d’un mètre.
Un autre défi à prendre très au sérieux est relié à l’eau froide de l’estuaire maritime du Saint-Laurent. L’eau de surface à la fin de l’été peut atteindre 10 Celsius, mais en profondeur, elle dépasse rarement 4 Celsius. Les risques d’hypothermie sont bien donc réels, même équipé d’un habit sec. Un habitué de l’Empress m’a déjà avoué, malgré son habit sec, avoir écourté à plusieurs reprises son temps de décompression lorsqu’il sentait l’hypothermie le gagner. Sa dernière plongée sur l’épave s’est terminée en chambre hyperbare.
Le courant et les vagues constituent également un défi de taille. Même à l’étale, il y a souvent du courant ainsi qu’une d’une bonne brise générant des vagues à la surface. Cela complique évidemment la mise à l’eau et la descente vers l’épave, mais aussi la remontée par l’échelle sur le bateau.
Un autre défi important est la taille de l’épave. L’Empress, avec ses 172 mètres de longueur et ses 20 mètres de largeur, est une épave imposante où il est facile d’être désorienté et ne plus retrouver son chemin à la ligne de descente. Ajoutez-y la narcose à l’azote (l’ivresse des profondeurs) et vous avez un cocktail potentiellement dangereux. Il est donc essentiel de bien mémoriser le trajet. Une remontée en pleine eau, en présence de courant, comporte des risques importants. Il est donc vital de pouvoir revenir à son point de départ. Toutefois, il faut prévoir le pire et apporter une bouée de surface munie d’un moulinet.
Finalement, il y a la possibilité de pénétrer à l’intérieur de l’épave. Cette avenue ne devrait jamais être entreprise sans une formation adéquate. L’intérieur de l’épave s’emplissant de plus en plus de vases, un simple coup de palme peut rendre nulle en un instant la visibilité et vous faire perdre de vue la sortie. Pour ma part, je n’ai pénétré l’épave qu’au niveau du trou de dynamique. Il s’agit d’une ouverture béante dans la coque faite par les scaphandriers qui ont récupéré les lingots d’argent et la poste dont était responsable le Canadien Pacifique. Je suis resté en périphérie du trou, le temps de quelques photos et j’en suis aussitôt ressortie.
Conditions de plongée exceptionnelles
Quant à moi, j’ai fait 19 plongées sur l’Empress entre les années 1985 et 1991. C’est bien peu, en comparaison à certains plongeurs, pour qui l’Empress était devenue une passion et dans quelques cas une obsession. Toutefois, si j’avais pu plonger chaque jour passer à Rimouski, j’en aurais certainement trois fois plus d’inscrites à mon carnet de plongée. Très souvent, des conditions de mer trop difficiles nous ont gardées à quai. Et les journées où l’on a pu prendre la mer, les conditions sous l’eau n’ont jamais été faciles, sauf pour les deux dernières plongées lors de mon séjour en 1991. Je me souviens encore de la mise à l’eau. Elle était sans courant ni vagues et je tenais à peine la ligne de descente. Nous étions à marée haute. Je m’attendais à toucher l’épave aux alentours de 27 mètres, dans une quasi-noirceur. Mais aux environs de 20 mètres, je l’ai vu apparaître. J’ai pu lâcher la corde de descente et me laisser couler lentement sur la coque. Je n’en croyais pas mes yeux. La visibilité devait être de plus de 20 mètres. Je n’avais jamais vu l’Empress baigner dans une aussi belle lumière.
Mot de la fin
Nous voilà donc à la veille de la commémoration du centenaire de ce bien triste événement et je compte bien dans les prochaines semaines rendre à nouveau visite à ce grand navire, lieu de sépulture de plusieurs centaines d’âmes et dont l’histoire fascine encore aujourd’hui. Je souhaite évidemment des conditions similaires à mes dernières plongées de 1991. Toutefois, je suis réaliste et je sais très bien que les conditions de l’estuaire du Saint-Laurent sont tout sauf prévisibles.
2014/04/29
Liens utiles
Empress of Ireland – Wiki
National Museum Liverpool
Pointe-au-Père, site historique maritime
Les épaves du Saint-Laurent